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vendredi 12 décembre 2025
Antananarivo | 17h23
 

Editorial

Refondation Madagascar : Asa fa tsy kabary (des actes et non des discours)

vendredi 12 décembre | Lalatiana Pitchboule |  508 visites  | 5 commentaires 

Le Piège des Grands Mots

On les adore, ces grands mots : Révolution, Refondation, Transition. Ils font sérieux dans les communiqués, rassurent les bailleurs et donnent à certains le plaisir inavoué de sentir le parfum de l’Histoire. On nous promet de changer les choses en profondeur, de retrouver une identité, de rédiger une Constitution enfin adaptée à nos réalités. Et l’on pense que, une fois ce texte refondateur pondu, tous nos problèmes seront résolus.

Mais quand grandirons-nous ? Quand sortirons-nous de ce délire structuraliste qui énonce que de bonnes institutions engendrent mécaniquement la démocratie et le développement ? Quand réaliserons-nous que la mise en place de ces « bonnes » institutions, si tant est qu’elles le soient, prendrait au bas mot quinze ans ?

Le Formalisme, Opium des Élites

Je me veux profondément démocrate, mais je le vois : notre démocratie s’enferme une fois de plus dans un formalisme stérile. Le débat FFKM ou pas FFKM importe peu … Avec ou sans, nous avons déjà vu par le passé que ces processus de dialogue national n’ont produit que très peu de résultats tangibles… Le seul qui ait vraiment été mené au bout (on oublie les annonces de concertation de 2002 et 2013), à savoir la convention de Panorama de 1991 qui préparait la 3e république, n’a pas permis à cette dernière de durer plus de 18 ans.

Allons-nous attendre vingt ans de plus pour accepter que ce fétichisme institutionnel ne résout rien du quotidien des citoyens ?… Un peu de pragmatisme que diable !

Quand le peuple veut en priorité de la sécurité, de l’emploi, de l’eau et de l’électricité, un accès aux soins et à une école de qualité pour les enfants, des infrastructures qui lui permettront de se déplace, de communiquer et de distribuer ses produits… Et une justice juste équilibrée et ferme … Est-ce trop demander … Pourquoi préfère-t-on se battre pour organiser au plus vite soit le rétablissement des anciennes élites pourries, soit leur remplacement par de nouvelles élites … moins pourries ?

Mais il s’agit aujourd’hui de reconstruire un pays brisé par 60 années de gabegies, de corruptions et de renonciations. Qui peut VRAIMENT croire que cette reconstruction se fera en 2 ans ? … En 4 ans ???… En 10 ans ??? Qui peut VRAIMENT croire qu’il suffira d’une concertation nationale, d’une nouvelle élection et d’un vote pour que le pays, d’un claquement de doigts, refasse connaissance avec le progrès et une croissance inclusive…

Et qu’on puisse enfin permettre aux plus démunis de sortir de la misère… On a encore en tête les années 70s et les conventions militantes qu’étaient les Zaikabe … Le livre rouge de Ratsiraka s’est appuyé sur cette séquence de mobilisation et de « rénovation nationale » … pour légitimer la Deuxième République et sa ligne révolutionnaire … On en connait les dramatiques résultats … C’était pourtant formalisé…

Que Dieu nous garde qu’une configuration curieusement symétrique (révolte des jeunes, renversement du pouvoir, montée au pouvoir de militaires …) produise les mêmes tares.

De la pensée magique

C’est tout le paradoxe malgache. Nous venons de vivre l’un des épisodes les plus brutaux de notre histoire politique récente… Et l’un des plus riches … Et pourtant, le logiciel mental reste le même. On change le décor, on repeint la façade, on renomme le régime, mais on conserve cette croyance magique : la démocratie – ou ce que nous en faisons – finira bien par produire le développement… Un jour… Plus tard… Quand on aura fini de discuter.

On est dans la pensée magique, là… Le « Asa fa tsy kabary » (des actes, pas des discours) de Tsiranana commence à me manquer.

Le Divorce entre le Pays Légal et le Pays Réel

On nous rejoue le même scénario : proclamer une refondation, promettre une grande concertation inclusive, réécrire la Constitution, puis organiser des élections « libres et transparentes ». Comme si le développement allait couler mécaniquement d’un bon texte fondamental et de bulletins bien comptés. On instillera bien au milieu quelques promesses sur l’électricité, l’eau ou les routes, alors que cela devrait être LA priorité absolue.

Mais le peuple, lui, ne vit pas dans un préambule constitutionnel. Pour lui, la question n’est pas : « Quel régime est le plus conforme aux standards internationaux ? », mais bien : « Demain, aurai-je de quoi nourrir ma famille ? »

Le plus ironique, c’est que ce moment de « refondation » offre en réalité la possibilité d’un pouvoir fort. Non pas un pouvoir fort contre la population, mais un pouvoir fort contre les inerties : contre les mafias de l’électricité, les monopoles de l’importation, les réseaux qui confisquent l’État depuis des décennies. Un pouvoir qui oserait dire : « Pendant deux ans, on arrête de disperser l’énergie politique. On se concentre sur dix priorités de survie. Et on vous en rend compte. »

Au lieu de cela, on tergiverse. On discute d’organigrammes, on chipote sur la couleur des feux rouges alors qu’on n’a toujours pas dessiné le plan du quartier. On annonce une transition calibrée en mois, sans savoir en quoi la vie d’une paysanne d’Itasy ou d’un jeune chômeur de Toliara sera différente au bout du compte.

L’Alternative : Un Agenda d’Urgence Nationale

Sortir de cette illusion, ce n’est pas mépriser la démocratie. C’est arrêter de la réduire à un calendrier et à une grammaire institutionnelle. C’est accepter cette vérité brutale : une élection propre n’a jamais, à elle seule, rempli un bidon d’eau ni créé un emploi durable. Elle peut empêcher le pire ; elle ne produit pas le mieux. Il faut qu’on accepte que cette reconstruction du cadre DEVRA PRENDRE DES ANNEES.

La question devient alors : comment s’attaquer tout de suite aux priorités, sans basculer dans l’autoritarisme ? La piste est de poser noir sur blanc un **Agenda d’Urgence Nationale**, lisible par un collégien, tenu par le gouvernement, mais surveillé par la société. Il ne s’agirait pas de slogans, mais d’engagements d’objectifs vérifiables sur les sujets de l’énergie, de l’eau, des infrastructures, de la sécurité, de la santé, de l’emploi massif…

Et de la justice avec la menée à terme d’au moins cinq dossiers emblématiques de corruption et de crimes d’État pour réduire le sentiment d’impunité…. Et de l’emploi en lançant des programmes massifs tels que des programmes de travaux à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) pour créer des dizaines de milliers d’emplois temporaires dans la réhabilitation d’infrastructures publiques.

Pour mettre en œuvre cet agenda, il faut des équipes d’exécution resserrées. Pas un énième Haut-Conseil pléthorique, mais des **task forces** dotées d’un mandat clair, d’un délai strict et comptables de leurs résultats. Leur performance serait suivie via des **tableaux de bord publics**, affichés en ligne et dans les mairies, commentés et discutés par tous : voici ce qui a été promis, voilà ce qui est fait, et voilà pourquoi le reste ne l’est pas encore. C’est la fin des excuses et le début de la redevabilité.

Réinventer la Démocratie : le Contrôle Citoyen en Action

Et la démocratie, dans tout ça ? Elle ne disparaît pas, elle change de place. Elle cesse d’être seulement la scène des grandes batailles de pouvoir pour devenir une machine de **contrôle citoyen** sur cet agenda minimal. Elle devient aussi le laboratoire où s’expérimente le nouveau contrat social.

On renforcerait les espaces de parole : des médias et des journalistes protégés, des syndicats et collectifs légitimes pour challenger les résultats, les assemblées locales (*fokonolona*) où l’on peut dire ce qui ne va pas. On pourrait même imaginer dissoudre l’Assemblée Nationale actuelle pour la remplacer par une **assemblée citoyenne tournante** composée en partie de citoyens tirés au sort. Son rôle ne serait pas de légiférer sur tout, mais de contrôler l’action de l’exécutif sur les priorités de l’Agenda d’Urgence.

Le contrat doit être clair : la priorité de la Transition n’est pas de produire un texte parfait, mais de prouver que l’État peut, pour une fois, tenir parole sur des choses simples et vitales.

Conclusion : Jouer pour la Dignité

La Génération Z qui a bravé les balles ne s’est pas levée pour ajouter une Constitution de plus à la collection. Elle s’est levée parce qu’elle étouffait dans un pays où l’on promet le « développement » comme on promet la pluie pendant la saison sèche. Il ne faudrait pas que ces jeunes tombent à leur tour dans le piège de ce conformisme mortifère.

Alors oui, gardons le mot « refondation » si cela rassure. Mais cessons de le traiter comme une incantation juridique. Refonder, ce n’est pas seulement réécrire les règles du jeu ; c’est changer **ce pour quoi on joue**.

Le jour où la Transition mettra plus d’énergie à faire tourner les pompes à eau qu’à polir les communiqués, on pourra commencer à croire qu’on sort enfin du cycle. D’ici là, on continuera de faire du sur-place… Très démocratiquement, dans le noir …

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 11/12/2025
Les Chroniques de Ragidro

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5 commentaires

Vos commentaires

  • 12 décembre à 15:15 | Vohitra (#7654)

    Devoir de mémoire...

    Le 11 décembre 2010, c’était la date de proclamation officielle de la quatrième Republique à Madagascar, et on avait décrété jour férié au pays cette mémorable journée...

    Une mise en scène programmée même par le putschiste en chef ancien DJ... Lui et sa femme (portant une ombrelle rouge, attribut de la royauté Merina d’antan), faisant une descente spectaculaire à partir du Rova d’Antananarivo ce jour là, il avait même utilisé des figurants jouant les rôles des « Arivolahy » pour l’acclamer au cours de cette mise en scène...

    Le Calife Rainilaingarivony disait même avec fougue « que cette nouvelle constitution va amener le développement et le progrès dans le pays »...

    Et dans l’article 24 de cette nouvelle Constitution , l’éducation primaire sera obligatoire et à la charge de l’Etat...

    Presque 16 ans déjà, où en est-on dans le respect de cet article 24 ?

    Bref, comme je l’ai dit avant hier, quand on veut opérer une vraie refondation dans ce pays, il est impératif de mettre à l’écart d’abord les partis politiques et les politiciens Malagasy lors de la définition des « principes fondamentaux et des mécanismes de mise en œuvre de la refondation envisagée »...

    Pour dire, c’est le peuple qui établira et décidera des voies et missions des institutions de la République...

    On ne va pas solliciter un entrepreneur propriétaire d’une société grossiste en boissons alcoolisés pour diriger l’association des « croix bleue » au sein d’un temple ou d’une église...

    Répondre

  • 12 décembre à 15:37 | Le Veilleur alias l’Eveilleur (#11851)

    Un article paru dans le journal hebdomadaire Lakroa de Madagasikara dans les années 90 évoquait la Constitution en expliquant que les Malgaches, qu’ils soient politiciens ou simples citoyens, excellent généralement dans l’organisation de certaines choses, mais qu’après la rédaction d’une Constitution par exemple, il n’y a aucune action concrète pour son exécution, et cela reste sans suite en général.

    Pourquoi ? Une fois le discours prononcé, c’est comme si tout était réalise par magie :)

    Répondre

    • 12 décembre à 15:54 | bekily (#9403) répond à Le Veilleur alias l'Eveilleur

      Hum
      Lakroa ?????

      Avec la FFKM
      pourquoi pas le BAIBOLY EN GUISE DE CONSTITUTION ?

  • 12 décembre à 16:17 | zanadralambo (#7305)

    « Asa fa tsy kabary », un slogan qui résonne dans ma mémoire. Moi aussi, j’ai connu la période Tsiranana, et j’avoue que j’en suis nostalgique.On peut toujours ergoter sur la nature du régime que d’aucuns qualifieront de néo-colonialiste, certains diront que Tsiranana n’était que le pantin de la France à fric… J’entends. Et quand je me rappelle qu’un certain Le Chat était ministre, que des vazaha commandaient notre jeune Armée, que des militaires français occupaient les bases d’ Ivato et de Diégo… j’avoue, penaud, que ça la foutait un peu mal. Mais les circonstances de l’époque (une indépendance toute fraîche où les cadres nationaux n’étaient pas tout à fait prêts à remplacer les fonctionnaires coloniaux, la guerre froide avec la menace communiste…), sans pour autant totalement la justifier, pouvaient expliquer une réalité qui en choquerait plus d’un de nos jours.
    Pourtant, à part les nationalistes fanatiques (mon père qui avait fait ses études en métropole en était), il n’ y avait pas grand monde qui se plaignait vraiment de la situation. Les seuls partis politiques qui réclamaient , d’ailleurs, la fin des accords avec Paris étaient le Monima maoïste et l’AKFM (le parti des bourgeois merina qui ne juraient que par Lénine, cherchez l’erreur, pour lequel tout Tana votait comme un seul homme à chaque élection) qui, lui, rêvait tout simplement de remplacer la France par l’URSS. Le petit peuple, autant que je me souvienne, n’avait jamais manifesté une hostilité quelconque envers les vazaha qu’il côtoyait tous les jours dans la rue. A Tana comme en province...dans des villes comme Diégo, on assumait d’ailleurs son amour pour la France. On disait que les Français étaient la 19ème tribu de Madagascar, c’est tout dire.
    Les années 60-70, quoiqu’en disent les esprits chagrin d’une certaine frange de la francophobie ont été, sans conteste, une belle période, peut-être la plus belle qu’on ait vécue. La vie était était douce, comme le souvenir de ces soirées au coin du feu à la campagne, bercée par les angano racontés par nos grand-pères… par les kermesses ( je n’oublieraj jamais celle d’Antanibarinandriana , les podiums de la Place de l’Indépendance du 14 octobre, les départs en vacances par le train vers Tamatave…

    Répondre

    • 12 décembre à 16:19 | zanadralambo (#7305) répond à zanadralambo

      Suite et fin.
      La famine n’ existait pas, sans nager dans l’opulence, le Malgache mangeait à sa faim… L’insécurité était un mot inconnu, on pouvait circuler jusqu’à pas d’heure sans le risque de se faire égorger. Si je vous disais que la maison de mon oncle, à Manodohodo, après Talata Volonondry, qui était isolée (pas de voisin à 5 km à la ronde), pareil pour la petite ferme de mon arrière grand-mère maternelle à Mahatsinjo, n’ont jamais connu le moindre souci. La seule peur qu’on connaissait, c’était celle du mpaka fo et des mpamosavy, MDR… L’éducation (calquée sur le système français) était de qualité, je ne connais pas un seul élève du lycée Galliéni, du lycée Jules ferry ou du collège St Michel qui ait renié l’enseignement qu’il a reçu ; beaucoup d’entre eux (Malgaches comme Français) ont, d’ailleurs, fait les beaux jours de l’Administration française, des chroniqueurs comme Laltiana Pitchboule, Ikala Paingotra (Ndimby et Vanf que j’adore sont de la génération d’après, il me semble) sont la fierté de notre presse. Personnellement, j’ai nourri mon intellec avec les cours de latin du bahut que je maudissais pourtant à l’époque. L’université d’Ankatso était un joyau qui n’avait rien à envier à ses sœurs de métropole, c’était juste une des plus belles d’Afrique et de l’Océan Indien. Et la santé, me direz-vous… Elle valait de l’or, à l’époque. Nos médecins formés à Montpellier, à Paris, à Aix-Marseille étaient d’une compétence sans égal, le serment d’Hippocrate n’était pas encore celui d’hypocrite ; l’hôpital Girard et Robic, la maternité de Befelatanana étaient des établissements à la pointe, ils n’avaient rien, mais rien à voir avec les mouroirs que nos centres de santé sont devenus.
      Oui, quitte à passer pour un vieux con qui radote, ces années que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître, ont été un bonheur. C’était un peu nos 30 glorieuses à nous. Qu’en est-il resté après que l’extrême gauche nationaliste, un Amiral félon à sa tête, ait décidé de renverser la table et de mettre la France (de son passage, entre le verre à moitié vide et le verre à moitié plein, je retiens ce dernier, il n’ y a pas tout à jeter, certainement pas !!!) et de se tourner vers L’URSS et- la Corée du Nord ? Que de la désolation, des larmes et des haines… Et au fond, une désillusion teintée de regrets éternels. Ce qui me désole le plus, c’est de voir notre jeunesse perdue, sacrifiée par l’égoïsme d’une caste qui a remplacé l’ancien colon blanc par des colons couleur locale encore plus vicieux, plus sa.lauds qui ont entraîné, dans leur folie, par un orgueil déplacé, le pays vers la ruine, vers l’enfer. Et là où j’ai le plus mal, c’est de me dire que les enfants, les petits enfants de Mada, le pays de mes ancêtres, eux ne connaîtront jamais la vie rêvée que j’ai vécue.

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